VISITE GUIDEE #6, BEAUX-ARBRES ACADEMY


  BARBIZON, HËTRES AU SOLEIL

UN PETIT FILM CAPITAL (1)
La lyre d’Orphée ...
Entre plaine de Bière et forêt de Fontainebleau, Barbizon résonne de moult noms. «Pourra t-on faire un jour plus beau que Millet (1814-1875)» s'interrogeait par exemple Van Gogh (1853-1890). «Le soleil, c'est la lyre d'Orphée» ! disait quant à lui, Théodore Rousseau (1812-1867). La redécouverte de la nature par la  peinture française s'opère ici entre plaine et forêt, comprend on rapidement  en assistant au  documentaire du musée des peintres. « Au Diable les Grands Sujet de la Grande Peinture !» Inspiré autant par un souffle batave Grand Siècle (Ruysdael, Van Goyen, Frans Post), que par les succès outre-manche de Constable (1776-1837), Turner (1775-1851) ou encore Bonnington (1802-1828), Barbizon fait office de 1825 à 1875 de festival-off aux Salons de l'Académie (2) ... «La forêt comme la mer, la plaine comme le ciel; on fume et on peint les rochers de toutes les couleurs ... Deux toiles par jour … », sont d'autres indications picturales autant que socratiques (3) données par le petit film sous titrés en anglais et en français. 
Beaux-Arbres académie ...
Barbizon, c'est «l'Académie des Beaux-Arbres», le Cercle des Bisons Disparus en rapport à leurs pilosités protubérantes et la camaraderie (13) de l'Auberge Ganne (1824), véritable Mecque de la peinture moderne (Musée des peintres depuis 1995). En sortant de celle-ci, l'Atelier Millet où il vécut de 1849 à 1875, est un autre souvenir plaisant de ce temps des meules, tant pour la reconstitution de son atmosphère que pour que pour sa boutique de bric et de broc (4). Là naquirent Le semeur (1851), Les Glaneuses (1857), L'Angelus (1857/1859), La Houe (1862). On y admire aujourd'hui «Le Berger et ses vaches» et «Mésanges sous la neige» de Karl Bodmer (1809-1893), grand illustrateur et explorateur franco-suisse de l'Amérique septentrionale (5). L'ancien atelier de Théodore Rousseau est ouvert seulement à l'occasion des exposition temporaire du Musée. Au fond de la grande rue, la route des Mazettes, bordant alors un vulgaire hallier, mène aujourd'hui en cinq minutes à peine, soit au Chêne de Charlemagne _ millénaire de deux siècles _, soit au chaos de grès rocheux caractéristique de l'univers de N. Diaz de la Peña (1807-1876). La boucle de l’Éléphant est l'histoire d'une demi-heure à pied contre environ deux, aller-retour, pour les gorges d'Apremont ; 5 Km. à bicyclette de Fontainebleau. 

CLIN D'OEIL AUX AVEUGLES
1845, Une allée de châtaignier... Pour se fondre vraiment dans Barbizon, la reprise d'une éloge à suivre de Théophile Thoré (6) à l'égard d'une « Allée de châtaigniers » peinte par Théodore Rousseau et exposée au Salon de 1845, fait étonnement écho à l'Allée des Rosiers peint par Monet en 1822 et montrée aujourd'hui au Musée des Impressionnismes de Giverny. Serait-ce un dernier clin d’œil aux aveugles du Raphaël des eaux comme l'appelait Manet (7)? L'usage d'une tablette multimédia permettra aux plus sceptiques de comparer en supplément les vues des Pavés de Chailly par Rousseau (1840) et par Monet (1866). 

« Parmi les contemporains, les véritables peintres, les véritables poètes, n'ont-ils pas toujours transporté l'homme, ou plutôt le sentiment humain, même dans la nature déserte ? Théodore Rousseau, qui nous revient sans cesse quand il s'agit de poésie dans la peinture, a trouvé, un jour, une allée de châtaigniers dans un coin retiré de la Vendée, ce pays si original et si sauvage, dont la végétation vigoureuse a une couleur particulière, dont les arbres sans souci ont des tournures merveilleuses. Il a copié tout bonnement son allée de face. On y entre au bord de la toile comme dans la grande gueule d'un entonnoir, et l'on n'en sort pas ; mais tout au fond, bien loin, on aperçoit le jour à l'orifice extrême de cette caverne de branches entrelacées et d'épais feuillages. Vous n'avez point de ciel au-dessus de vous, ni à droite, ni à gauche ; car les arbres plantés tronc à tronc s'emmêlent comme des lianes dans une forêt vierge, ou comme des arabesques le long des lambris et de la voûte d'un édifice. Seulement à quelques points de cette voûte verdoyante, de petits rayons tremblotants de lumière éclatent entre les feuilles argentées, comme des étoiles scintillantes au firmament du soir. En considérant cette belle peinture, on éprouve la même impression que lorsqu'on entre seul dans une vaste cathédrale gothique, aux colonnes élancées, aux décorations capricieuses. La percée de ciel, à l'extrémité de l'allée mystérieuse, est comme l'autel radieux au fond du monument sombre. Un pareil tableau est assurément de « l'art pour l'homme »8 et non point de l'art pour l'art. Je ne dis pas que cette poésie ne soit pas dans la nature ; mais encore il faut l'y sentir et l'exprimer. L'artiste n'est pas seulement un œil comme le daguerréotype, un miroir fatal et passif, qui reproduit physiquement l'image qu'on lui présente ; c'est une âme mouvante et créatrice qui féconde à son tour la création extérieure. La nature est la mère voluptueuse qui provoque la passion de son amant, et l'art est le fruit de cette divine union ».
1857, Un ange luit ... Pour se fondre maintenant dans l'Angelus de Millet, l'interprétation popularisé par Dali (1904-1976) sur l'existence originelle d'un cercueil d'enfant à l'endroit du recueillement est certainement la plus bluffante (9). 

HETRES AU SOLEIL, BARBIZONNER
Corot ...
« Hêtres au soleil », l'étude en forêt de Fontainebleau du bonhomme Corot est parmi « Les trésors de la forêt (10) » un pendant formidable à toute morosité. « Corot est plus harmoniste que coloriste » disait toutefois C. Baudelaire (11). Gustave-Henri Colin (1828-1910), peintre, que « Corot cherchait à peindre, c'était moins la nature que l'amour qu'il avait pour elle » ; Corot, lui-même, que : « Le réel est une partie de l'art, le sentiment complète » … « Après mes excursions, j'invite la Nature à venir passer quelques jours chez moi ; c'est alors que je commence ma folie : le pinceau à la main, je cherche des noisettes dans les bois de mon atelier; j'y entends chanter les oiseaux, les arbres frissonner sous le vent. J'y vois couler ruisseaux et rivières chargés de  mille reflets du ciel et de la terre ; le soleil se couche et se lève chez moi». L'autre Corot acquis en 2008, «Détail de tronc d'arbre en forêt, 1822 », est une étude de jeunesse mais les arbres au sol et les branches brisées rejoignent le topos de la nature morte et sa valeur symbolique : l'expression à l'instar d'une scène animée, d'un sentiment de fragilité face à la violence, de mort inéluctable des éléments les plus solides12. Il décède d'ailleurs comme Millet en 1875, comme Barye (1796-1875) et comme Carpeaux (1827-1875), dont Barbison offre le privilège de montrer des œuvres peintes: « Intérieur de forêt et biche » – « La danse du punch ». Le même thème traité dans Manette et Salomon des frères Goncourt rapporte l'expression de « vrai vide-bouteille de l'Art» (13). 
Et les coloristes ... Parmi tous ces paysages, « La couseuse », seule œuvre de Millet » rappelle ses études sociales mais aussi « Les repasseuses, c. 1884 » de Degas. Le « Père Chicorée et son chien » (14) de Ferdinand Chaigneau (1830-1906) sont deux figures populaires du patelin et de la peinture de paysage française en conséquence.  Avec Millet et Rousseau, E. Lavieille (1818-1862) et C. Jacque (1813-1894) sont deux autres barbizonnais à l'année. Cela fait d'ailleurs du premier, le peintre de l'hiver (Cf. Barbizon sous la neige durant l'hiver) et du deuxième, celui des moutons (Cf. Intérieur de Bergerie). Ensemble il fondent l'association des artistes animaliers et continuent de faire braire le public autour du monde. Un Jacques Raymond Brascassat (1804-1867), prix de Rome 1825, pourra alors autant servir de transgression à moquer un spécialiste des bovidés qu'à louer un formateur de Chaigneau où de Daubigny (1817-1878). «Peintres dans la forêt de Fontainebleau», l’œuvre d'un autre aîné du contingent, J. Coignet (1798-1860), peut également trancher avec le « Déjeuner sur l'herbe, 1862-1863» de Manet souvent rapporté au Concert Champêtre de Titien mais dont le décor bucolique démonte en premier la mode des académiciens en haut de forme. Dans le documentaire apparaît d'ailleurs une photographie noir et blanc extraordinaire montrant une véritable foule d'ombrelles et de chevalets en forêt à l'occasion d'un concours que l'on peut supposer lucratif. Enfin, pour terminer, la documentation photographique des visites en ligne de Jean-Louis Gautreau (4) et Jean-Pierre Jondrier (13) sont, avant ce texte,  les meilleurs condensés pour commencer à barbizonner.                                                                                                            © Philippemaurice
                 
Notes
01 - Documentaire, Barbizon, Jean-Michel Mahenc, 35 min. Atelier audiovisuel de Barbizon, 1995
02 - La création du Salon des refusés sous Napoléon III est propre aux contexte de 1868. Il n'est pas un événement répété par la suite. 
03 - «Multiplier Socrate» : France Culture, 28/08/2015 – Contre-histoire de la philosophie par Michel Onfray: - La résistance au nihilisme ; Dernier séminaire de la "Contre-philosophie" 59 minutes, Année 13, Cours # ???  1) Les penseurs du sujet antique 2) Le philosophe : un atypique 3) Socrate pour conclure 4) La mort de Socrate. «Multiplier Socrate», c'est à mon entendement multiplier le réel. La référence directe aux informations données par le documentaire peut aussi s'étendre indirectement au travail du paysagiste d'après nature. 
04 - Jean-Louis Gautreau, 2011, http://notesdemusees.blogspot.fr/2011/03/barbizon.html
«C’est dans cette maison que le célèbre artiste a vécu vingt-cinq ans – 1849-1875 – avec sa femme et leurs neuf enfants. C’est ici qu’il est mort, le 20 janvier 1875, à six heures du matin. A l’entrée, deux pierres anonymes sont un vibrant hommage à deux peintres américains, William Morris Hunt et William Babcock, amis fidèles de Millet. La première pièce, l’atelier, vit naître ses principaux chefs d’œuvre – L’Angélus, Les Glaneuses, L’Homme à la houe, Le Semeur… – et a été conservée dans l’état où l’a laissé sa veuve. Nombreux documents : dessins, gravures, photos, etc.»
05 – Karl Bodmer participe à l'expédition du prince naturaliste allemand, Maximilian zu Wied-Neuwied : 1832-1834. Maximilian zu Wied-Neuwied, également connaisseur du Brésil où il se rendit en 1815 (Wikipedia). 
06 - Dossier Théodore Rousseau et la critique.pdf, p.9. http://www.musee-peintres-barbizon.fr/library/Dossier-Rousseau-Critiques, 39 p. Note: Thoré ou Thoré-Burger, Théophile (1807-1869) : journaliste et critique d’art. Il est un ami de Théodore Rousseau, il vient le rencontrer à Barbizon en 1847 et décrit leur promenade en forêt dans Par Monts et par bois, la forêt de Fontainebleau. 
07 – Festival Normandie Impressionniste 2016: http://www.normandie-impressionniste.fr/content/monet%C2%A0-histoires-d%E2%80%99eau-i%C2%A0-la-mer#submenu-1 … « La vie de Claude Monet fut placée sous le sceau du reflet et de la lumière. Peintre de marines, de la Seine, des falaises normandes et des rochers bretons, mais aussi de la Méditerranée, et d’un grand cycle décoratif consacré aux Nymphéas, il porta bien le surnom élogieux de « Raphaël de l’eau » que lui avait donné son ami Edouard Manet. »
08 - « L'Art pour l'homme ». En majuscule dans le texte original. 
09 - Jean-Jacques Pauvert, Le Mythe tragique de l'Angélus de Millet, 1963 en in-4 ; 1978  ; 2011  Ed.  Allia
10 - « The treasure forest » ou « La forêt au trésor » de Robert-Louis Stevenson (1850-1894), l'auteur écossais du  docteur Jekyll et Mr. Hyde (1888) et « L'île au trésor » (1833) serait inspiré de son périple «Barbizon, Auberge du Bas-Bréault – Moret-sur-Loing», auteur écossais de la fameuse île du même nom (1883).
11 - Jean Leymarie, La campagne de Corot, Ed. Assouline, 1996 - «Corot est plutôt un harmoniste qu'un coloriste... Presque toutes ses œuvres ont le don particulier de l'unité, qui est un des besoins de la mémoire». C. Baudelaire
12 – Œuvres commentées, Musée des peintres de Barbizon: «Les arbres au sol et les branches brisées étaient souvent un sujet de prédilection des peintres qui appréciaient la force dramatique de ce motif auquel on peut même attribuer une valeur symbolique : la nature permet alors d’exprimer, au même titre qu’une scène animée, un sentiment de fragilité face à la violence, de mort inéluctable des éléments les plus solides ». 
http://www.musee-peintres-barbizon.fr/jean-baptiste-camille-corot-detail-de-tronc-d-arbre-en-foret. 
13 - Chanson des peintres de Barbizon: «Une auberge à la lisière de la forêt d’ Fontainebleau où s’en vont boire de l’eau les peintres à la rivière. Quand on voit quel’barbe-y-z’ont, on dit qu’ils sont d’Barbizon. C’est l’auberge du père Ganne, on y voit de beaux panneaux peints par des peintres pas novices et qui ne sont pas des ânes. Les peintres de Barbizon peignent comme des Bisons.» http://www.j2pam.fr/app/download/5439418859/Barbizon.pdf?t=1439815200. 
14 – Commentaire audio téléchargeable en ligne : https://podcloud.fr/podcast/audiovisit-visite-du-musee-de-lecole-de-barbizon/episode/180-bonus-ferdinand-chaigneau

Liens
L'Auberge Ganne, Musée des Peintres de Barbizon :  
http://www.musee-peintres-barbizon.fr/
http://notesdemusees.blogspot.fr/2011/03/barbizon.html
Etude de l'oeuvre de Théodore Rousseau : 
http://www.musee-peintres-barbizon.fr/theodore-rousseau-et-la-critique
http://www.fontainebleau-photo.com/2015/04/theodore-rousseau-le-peintre-qui.html
Peintures d'artistes ( Ecole de Barbizon) : 
http://hbensliman.free.fr/Fontainebleau/peinture/index.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Listes_des_peintres_de_l%27%C3%89cole_de_Barbizon
Généralités Barbizon : 
Florence Brière-Cuzin, Patrimoine et tourisme, la méthodologie 1ère et 2ème année, Editions Bréal, 2002 - 206 pages. (https://books.google.fr/books?id=1HiqpOqKSGIC&pg=PT135&lpg=PT135&dq=napoleon+barbizon&source=bl&ots=zsWIwB5vGj&sig=5DnGVwzdEfyUmGodlfO5RsCvQuM&hl=fr&sa=X&ved=0CHcQ6AEwD2oVChMI9pmC2K7ExwIVh9gaCh266wHX#v=onepage&q=napoleon%20barbizon&f=false)

Listing de personnalités par ordre de naissance (Photomontage Atelier Millet) 
G. Michel (1763-1843), A Scheffer (1795-1858), JBC Corot (1796-1875), AL Barye (1796-1875), E Delacroix (1798-1963), B Stamati (1798-?), TC d'Aligny (1798-1871), C Flers (1802-1868), P Huet (1803-1869), AG Decamps (1803-1860), J Brascassat (1804-1867), A Desgoffe (1805-1882), N Diaz de la Peña (1807-1876), H Daumier (1808-1879), K Bodmer (1809-1893), C Troyon (1810-1869), T Rousseau (1812-1867), LN Carat (1812-1893), L Boulanger (1812-1878), Jacque (1813-1894), E Ciceri (1813-1890), J Dupré (1813-1894), C Nanteuil (1813-1873), JF Millet (1814-1875), F Français (1814-1897), A Chinteuil (1816-1873), C  CF Daubigny (1817-1878), X de Cock (1818-1896), A Appian (1818-1898), E Lavieille (1818-1862), G Nicolas (1818-1907), C Gustave (1819-1877), H Harpignies (1819-1916), J Jongkind (1819-1891), R Bonheur (1822-1899), JL Gérôme (1824-1904), WM Hunt (1824-1879), J Israëls (1824-1911), EV Marcen (1827-1873), G. Gassies (1829-1919),  L Knauss (1829-1910), F Chaigneau (1830-1906), C Pissaro (1830-1905), L Lombard (1831-?), A Vollon (1833-1900), P Cezanne (1839-1906), A Sisley (1839-1899), C Monet (1840-1926), G Lafenestre (1841-1877), PA Renoir (1841-1919), H Delft (1842-1910), L de Paal (1846-1869),  K (CP) Daubigny (1846-1886), M Lieberman (1847-1935), JS Sargent (1856-1925), G Seurat (1859-1891) ... 


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